La route est belle
Tu te réveilles en sursaut. Le soleil est haut, il doit être deux ou trois heures de l’après-midi, tu ne sais pas exactement. Ton jour de repos. L’air est chaud. Tu t’aperçois que tes vêtements sont trempés. Tu transpires, tu suffoques, tu tousses. Des cris résonnent dans l’appartement. Une odeur épouvantable. De la fumée partout. Opaque et noire. Dans tes narines, ta gorge, tes poumons. Tu tournes la tête. Sully hurle et montre le salon du doigt. Sabrino dit en pleurant qu’il est désolé, qu’il ne l’a pas fait exprès, que ce n’est pas de sa faute. Drazic s’accroche à ta manche. Tu te redresses sur le lit. Du bruit dans le couloir. Puis tu vois les flammes, la peinture en train de se gondoler sur les murs, les rideaux carbonisés, tu croises le regard de ta femme et tu comprends qu’il est déjà trop tard. Tu sautes, tu cours, tu attrapes les enfants par le bras, la taille, le col. Tu tires et tu tousses. Les sortir de là, tu te dis. Les sortir de cet enfer d’immeuble en train de brûler. Tirer, tousser, courir. Pas le temps de réfléchir. La porte, enfoncée à coups de pied, la fumée, la chaleur étouffante. La cage d’escalier, premier étage, dévaler les marches. Tes poumons, prêts à exploser. Les cris des gamins et déjà, dehors, les sirènes des pompiers et des flics. Le hall d’entrée, les voisins te bousculent, le parking, les gyrophares bleus, les képis, la grande échelle. Des tas de gens. Comme toi, comme vous. Qui toussent, qui courrent. Tu reconnais des personnes de l’immeuble, tu entends le gondement sourd de la peur. La colère aussi. Tu rassures Sully et Sabrino, tu serres Drazic dans tes bras, tu t’assures qu’ils vont bien. Choqués, essoufflés, terrorisés. Sortis. Sauvés. Alors seulement tu sens les regards qui pèsent sur toi et les tiens. Habitants, pompiers, ambulanciers, gendarmes, curieux, badauds. Tout le quartier Saint Martin est là. Un village transformé en hôpital de campagne. Un incendie, un peuple. Un coupable. Tu devines plus que tu ne vois les quatre types qui se rapprochent de toi. Poings fermés, haine sur les visages. Tu écartes les enfants presque instinctivement. Les coups commencent à pleuvoir en même temps que les insultes. Voleur de poules. Sale race de gitans. T’as brûlé l’appartement exprès pour retourner dans ta caravane. Tu serres les dents. Tu sais. La même rengaine, la même peur. La même injustice. Ils les laissent faire sans broncher. Dans les côtes, sur le dos, au visage, derrière le crâne. Tu encaisses sans broncher et tu ouvres grand les yeux pendant qu’ils s’acharnent sur toi. Tu relèves la tête et tu regardes devant. Derrière les murs et les barres d’immeubles. Au-delà de la ville, la route est belle.